L'invitation au voyage charles baudelaire
La première strophe est un appel en même temps qu’une invocation. C’est une prière adressée à une femme désignée par deux vocables, « Mon enfant, ma sœur ». Le premier désigne la tendresse pour une personne fragile à protéger ; le second évoque le respect chaste, la complicité, la douceur, il tend à rétablir l’égalité dans le couple. En effet le poète (un peu misogyne1) semble élever la femme de son état infantile à celui de complice par le seul fait de l’avoir élue. Le rythme binaire décroissant indique le débordement de la dilection. Ces deux premiers qualificatifs donnent au poème une coloration mystique, ils connotent un amour spirituel.
Le poète invite sa compagne par un impératif, « Songe »2, dont la magie onirique atténue la rigueur. La destination du voyage est, elle aussi, du domaine du rêve. Elle est éloignée par un « là-bas » qui tranche implicitement et absolument avec un ici aux durs contours. La contrée où doivent se rendre les amants est indéterminée, Baudelaire la désigne métaphoriquement par le « pays qui te ressemble »3. En effet sa caractéristique est d’être moins un lieu qu’un état, celui du couple fusionnel. C’est le pays du « vivre ensemble », le paradis de l’amour. La répétition du verbe « aimer » contribue en outre à l’incantation. Ajoutons que l’absence de contrainte exprimée par « à loisir », ainsi que le lien très fort avec « mourir » confortent l’irréalité du lieu. Le désir amoureux comblé appelle un toujours dans une autre vie. Le « là-bas » appelle un au-delà.
La fin de la première strophe suggère de « traîtres yeux » et des « larmes ». La première expression est inspirée du langage précieux. Comme l’indique Littré le terme désigne « certaines choses qui sont dangereuses sans le paraître ». Ce sont en effet ces yeux qui ont envoûté le poète tombé sous leurs « charmes4 si mystérieux ». Baudelaire est devenu amoureux d’un regard embué par les « larmes », larmes d’émotion et de bonheur. Cette eau évoque