L exil et le royaume
L’œuvre d’Albert Camus offre, d’un point de vue purement formel, le reflet d’un projet rigoureux. Ainsi qu’il en exprima le dessein à plusieurs reprises, il s’est toujours efforcé de travailler sur un triple plan : le roman, l’essai et le théâtre. Il est de coutume, d’autre part, de distinguer deux étapes dans son œuvre : un premier cycle qui développe le sentiment de l’absurde avec l’Étranger [1] (1942), Le Mythe de Sisyphe (1941) et Caligula (1944) ; un second – La Peste (1947), L’Homme révolté (1951) et Les Justes (1950) – à travers lequel la prise de position contre l’absurde dénoncé en premier, trouve son expression. Sous-jacent à cette exigence fondamentale, et le vivifiant de ses eaux fertiles, un courant profond habitait Camus, qu’il exprima dans Noces (1939), L’Eté (1954), sortes d’essais poétiques. L’art de Camus recouvrait ainsi un large éventail, mais, dans le même temps, semblait limité par son projet même.
Or, Camus publie en 1957 un recueil de six nouvelles, L’Exil et le Royaume, qui donne une dimension plus vaste à ses talents d’écrivain. La plupart de ces nouvelles, prévues dès 1952, étaient en manuscrit à partir de 1955. Succédant à La Chute (1956), qui devait à l’origine faire partie du recueil, les nouvelles brisent le long silence qui, selon Roger Quilliot (in Edition de La Pléiade des Oeuvres complètes de Camus, tome I p.2028), traduisait une crise chez Camus, un certain tarissement de son œuvre. Si le recueil témoigne donc d’une nouvelle orientation de l’art camusien, est-ce là son seul mérite ?
Camus lui-même semblait vouloir restreindre l’importance du recueil lorsqu’il confiait à Giacome Antonini que La Chute et les nouvelles qu’il allait réunir dans le volume L’Exil et le Royaume étaient un intermède avant la troisième étape qui serait la plus importante. Mais Camus ne put mener à terme ses projets, dont il reste, comme témoignage, Le premier Homme, inachevé, mais publié en 1995. L’Exil et le Royaume au-delà de