L ivresse dans la poesie
Avant d’évoquer plus précisément le motif du vin dans la poésie de Hâfez, il est nécessaire de présenter de façon succincte ce qui semble être sa vision générale du monde et de l’origine de la création. Dans un vers resté fameux, Hâfez écrit : "Dans la prééternité, le rayon de Ta beauté s’exhala en une lumineuse apparition/ L’amour parut et mit feu au monde entier." [7] Ces mots font écho à un hadith qodsi [8] largement cité par les grands gnostiques de l’islam, selon lequel le moteur de la création aurait été l’amour de Dieu et Son souhait d’être connu par Ses créatures : "J’étais un trésor inconnu, J’aimais à être connu : J’ai donc créé les créatures, Je me suis fait connaître d’elles et par Moi elles Me connurent." D’autre part, selon le Coran, le corps de l’homme a été façonné d’argile tandis que son âme lui a été directement insufflée par Dieu : "Il lui donna sa forme parfaite et lui insuffla de Son Esprit" (32:9). L’origine de la création de l’homme est donc ce souffle d’amour divin qui va orienter toute la destinée spirituelle de ce dernier : pour trouver la vérité de son être et atteindre sa perfection, il devra entreprendre tout un cheminement afin de sortir de son moi illusoire (majâzi) - c’est-à-dire de ses passions, de son égoïsme, et de tout ce qui n’est pas Dieu - qui lui permettra d’atteindre son moi véritable (haqiqi), qui n’est autre que la présence divine à l’origine de sa création.
Le symbolisme du vin s’avère ici particulièrement approprié pour décrire ce processus. Au sens terrestre, le vin et l’ivresse qu’il entraîne fait oublier à l’homme sa fierté, sa position sociale, sa richesse, et tout ce qui touche aux valeurs terrestres passagères. S’il est ivre, un roi pourra se mettre à danser avec un mendiant, oubliant toutes les distinctions créées par les coutumes de ce monde. De même, la manifestation de l’amour divin dans le cœur