Étienne jodelle, o traîtres vers, trop traîtres contre moi,
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Étienne Jodelle
O traîtres vers, trop traîtres contre moi,
Qui souffle en vous une immortelle vie,
Vous m’appâtez et croissez mon envie,
Me déguisant tout ce que j’aperçois.
Je ne vois rien dedans elle pourquoi
A l’aimer tant ma rage me convie :
Mais nonobstant ma pauvre âme asservie
Ne me la feint telle que je la vois.
C’est donc par vous, c’est par vous traîtres carmes,
Qui me liez moi-même dans mes charmes,
Vous son seul fard, vous son seul ornement,
Jà si long temps faisant d’un Diable un Ange,
Vous m’ouvrez l’œil en l’injuste louange,
Et m’aveuglez en l’injuste tourment. Étienne Jodelle (1532-1573) est le plus jeune des poètes de la Pléiade. Il se diffère de ses collègues de la Renaissance pour son origine bourgeoise ayant le titre de sieur du Lymodin. Depuis son enfance, il lit des livres humanistes dans la bibliothèque de son oncle et plus tard étudie au collège de Boncourt. Il compose ces premiers vers en l’honneur de Clément Marot déjà à l’âge de 14 ans. Jodelle, qui est beaucoup plus connu pour ses pièces de théâtre telles que Cléôpatre captive ou Eugène, est réputé pour son esprit contradictoire. Bien qu’il vit dans l’époque de la Renaissance et est attiré par l’idéal de l’harmonie humaniste, il sent une précarité existentielle par sa vie et sa fortune pas trop sûre. Donc, il s’approche petit à petit déjà au sentiment de l’époque baroque tantôt par sa mélancolie tantôt par son opinion particulière vers la poésie. A titre d’épreuve de ces sentences, nous présentons cette analyse du poème Ô traître vers, trop traître contre moi qui fait partie du recueil de vers intitulé Amours et Contr’amours, publié en posthume en 1574 par Charles de la Mothe. Précisément dans ce recueil des sonnets amoureux, adressées à Claude-Catherine de Clermont, maréchale de Retz, Jodelle présente l’idée qu’il est conscient du leurre de la poésie, ce qui provoque sa colère.
Partant de cette idée de base, ce poème