ACTE I SCENE 2 MISANTHROPE
255 Dans un ardent désir d'être de vos amis. Oui, mon cœur au mérite aime à rendre justice, Et je brûle qu'un nœud d'amitié nous unisse : Je crois qu' un ami chaud2, et de ma qualité3,
260 N'est pas assurément pour être rejeté. C'est à vous, s' il vous plaît, que ce discours s'adresse. (en cet endroit Alceste paraît tout rêveur, et semble n'entendre pas qu'Oronte lui parle.) Alceste À moi, monsieur ? Oronte À vous. Trouvez-vous qu'il vous blesse ? Alceste Non pas ; mais la surprise est fort grande pour moi, Et je n'attendais pas l'honneur que je reçois. Oronte
265 L'estime où je vous tiens ne doit point vous surprendre, Et de tout l' univers vous la pouvez prétendre. Alceste Monsieur... Oronte L'état n' a rien qui ne soit au-dessous Du mérite éclatant que l'on découvre en vous. Alceste Monsieur... Oronte Oui, de ma part, je vous tiens préférable
270 À tout ce que j'y vois de plus considérable. Alceste Monsieur... Oronte Sois-je du ciel écrasé, si je mens ! Et pour vous confirmer ici mes sentiments, Souffrez qu' à cœur ouvert, monsieur, je vous embrasse, Et qu'en votre amitié je vous demande place.
275 Touchez là4, s'il vous plaît, vous me la promettez, Votre amitié ? Alceste Monsieur... Oronte Quoi ? Vous y résistez ? Alceste Monsieur, c'est trop d'honneur que vous me voulez faire ; Mais l'amitié demande un peu plus de mystère5, Et c'est assurément en profaner le nom
280 Que de vouloir le mettre à toute occasion. Avec lumière et choix6 cette union veut naître ; Avant que nous lier, il faut nous mieux connaître ; Et nous pourrions avoir telles complexions7, Que tous deux du marché nous nous repentirions.