Alfred
(1810 - 1857)
Le Poète et écrivain Alfred de Musset
Le Poète et écrivain Alfred de Musset
Dans Venise la rouge (1844) Dans Venise la rouge Pas un bateau qui bouge, Pas un pêcheur dans l'eau, Pas un fallot.
— Ah ! maintenant plus d'une Attend au clair de lune Quelque jeune muguet, L'oreille au guet.
Pour le bal qu'on prépare Plus d'une qui se pare Met devant son miroir Le masque noir.
Laissons la vieille horloge Au palais du vieux doge Lui compter de ses nuits Les longs ennuis.
Comptons plutôt, ma belle, Sur ta bouche rebelle Tant de baisers donnés Et pardonnés.
Comptons plutôt tes charmes, Comptons les douces larmes Qu'à tes yeux a coûté La volupté.
...Toits superbes! froids monuments ! Linceul d'or sur des ossements ! Ci-gît Venise. Là mon pauvre coeur est resté. S'il doit m'en être rapporté, Dieu le conduise!
Mon pauvre coeur, l'as-tu trouvé Sur le chemin, sous un pavé, Au fond d'un verre ? Ou dans ce grand palais Nani, Dont tant de soleils ont jauni La noble pierre ?
L'as-tu vu sur les fleurs des prés, Ou sur les raisins empourprés D'une tonnelle ? Ou dans quelque frêle bateau, Glissant à l'ombre et fendant l'eau A tire-d'aile ?
L'as-tu trouvé tout en lambeaux Sur la rive où sont les tombeaux ? Il y doit être. Je ne sais qui l'y cherchera, Mais je crois bien qu'on ne pourra L'y reconnaître.
Il était gai, jeune et hardi; Il se jetait en étourdi A l'aventure. Librement il respirait l'air, Et parfois il se montrait fier D'une blessure.
Il fut crédule, étant loyal, Se défendant de croire au mal Comme d'un crime. Puis tout à coup il s'est fondu Ainsi qu'un glacier suspendu Sur un abîme...