Boitelle - maupassant
Le père Boitelle (Antoine) avait dans tout le pays, la spécialité des besognes malpropres. Toutes les fois qu'on avait à aire nettoyer une fosse, un fumier, un puisard, à curer un égout, un trou de fange quelconque c'était lui qu'on allait chercher.
Il s'en venait avec ses instruments de vidangeur et ses sabots enduits de crasse, et se mettait à sa besogne en geignant sans cesse sur son métier. Quand on lui demandait alors pourquoi il faisait cet ouvrage répugnant, il répondait avec résignation:
"Pardi, c'est pour mes éfants qu'il faut nourrir. Ça rapporte plus qu'autre chose."
Il avait, en effet, quatorze enfants. Si on s'informait de ce qu'ils étaient devenus, il disait avec un air d'indifférence:
"N'en reste huit à la maison. Y en a un au service et cinq mariés."
Quand on voulait savoir s'ils étaient bien mariés, il reprenait avec vivacité: "Je les ai pas opposés. Je les ai opposés en rien. Ils ont marié comme ils ont voulu. Faut pas opposer les goûts, ça tourne mal. Si je suis ordureux, mé, c'est que mes parents m'ont opposé dans mes goûts. Sans ça j'aurais devenu un ouvrier comme les autres."
Voici en quoi ses parents l'avaient contrarié dans ses goûts.
Il était alors soldat, faisant son temps au Havre, pas plus bête qu'un autre, pas plus dégourdi non plus, un peu simple pourtant. Pendant les heures de liberté, son plus grand plaisir était de se promener sur le quai, où sont réunis les marchands d'oiseaux. Tantôt seul, tantôt avec un pays, il s'en allait lentement le long des cages où les perroquets à dos vert et à tête jaune des Amazones, les perroquets à dos gris et à tête rouge du Sénégal, les aras énormes qui ont l'air d'oiseaux cultivés en serre, avec leurs plumes fleuries, leurs panaches et leurs aigrettes, des perruches de toute taille, qui semblent coloriées avec un soin minutieux par un bon Dieu miniaturiste, et les petits, tout petits oisillons sautillants, rouges, jaunes, bleus et bariolés, mêlant leurs cris au bruit du quai,