Commentaire article philosophie
– César Dumarsais –
Article « philosophe »
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Les autres hommes sont déterminés à agir sans sentir ni connaître les causes qui les font mouvoir, sans même songer qu'il y en ait. Le philosophe, au contraire, démêle les causes autant qu'il est en lui, et souvent même les prévient et se livre à elles avec connaissance : c'est une horloge qui se monte, pour ainsi dire, quelquefois elle-même. Ainsi il évite les objets qui peuvent lui causer des sentiments qui ne conviennent ni au bien-être, ni à l'être raisonnable, et cherche ceux qui peuvent exciter en lui des affections convenables à l'état où il se trouve. La raison est à l'égard du philosophe, ce que la grâce est à l'égard du chrétien, dans le système de Saint Augustin. La grâce détermine le chrétien à agir volontairement ; la raison détermine le philosophe. Les autres hommes sont emportés par leurs passions, sans que les actions qu'ils font soient précédées de la réflexion ; ce sont des hommes qui marchent dans les ténèbres, au lieu que le philosophe, dans ses passions même, n'agit qu'après la réflexion ; il marche la nuit, mais il est précédé d'un flambeau. La vérité n'est pas pour le philosophe une maîtresse qui corrompe son imagination, et qu'il croie trouver par-tout. Il se contente de la pouvoir démêler où il peut l'apercevoir ; il ne la confond point avec la vraisemblance ; il prend pour vrai ce qui est vrai, pour faux ce qui est faux, pour douteux ce qui est douteux, et pour vraisemblable ce qui n'est que vraisemblable. Il fait plus, et c'est ici une grande perfection du philosophe, c'est que lorsqu'il n'a point le motif propre pour juger, il sait demeurer indéterminé. Le monde est plein de personnes d'esprit et de beaucoup d'esprit, qui jugent toujours ; toujours ils devinent, car c'est deviner, que de juger sans sentir quand on a le motif propre du jugement ; ils ignorent la portée de l'esprit humain ; ils croient qu'il peut tout connaître ; ainsi ils trouvent de la honte à ne point