Commentaire composé "la mitrailleuse à gifles"
C’est dans la vie de famille, comme il fallait s’y attendre, que je réalisai la mitrailleuse à gifles. Je la réalisai, sans l’avoir méditée. Ma colère tout à coup se projeta hors de ma main, comme un gant de vent qui en serait sorti, comme deux, trois, quatre, dix gants, des gants d’effluves qui, spasmodiquement, et terriblement vite se précipitèrent de mes extrémités manuelles, filant vers le but, vers la tête odieuse qu’elles atteignirent sans tarder. Ce dégorgement répété de la main était étonnant. Ce n’était vraiment plus une gifle, ni deux. Je suis d’un naturel réservé et ne m’abandonne que pour le précipice de la rage. Véritable éjaculation de gifles, éjaculation en cascade et à soubresauts, ma main restant rigoureusement immobile. Ce jour-là, je touchai la magie. Un sensible eût pu voir quelque chose. Cette sorte d’ombre électrique jaillissant spasmodiquement de l’extrémité de ma main, rassemblée et se reformant en un instant. Pour être tout à fait franc, la cousine qui m’avait raillé venait d’ouvrir la porte et de sortir, quand réalisant brusquement la honte de l’offense, je répondis à retardement par une volée de gifles qui, véritablement, s’échappèrent de ma main. J’avais trouvé la mitrailleuse à gifles, si je puis dire, mais rien ne le dit mieux. Ensuite je ne pouvais plus voir cette prétentieuse sans que gifles comme guêpes ne filassent de ma main vers elle. Cette découverte valait bien d’avoir subi ses odieux propos. C’est pourquoi je conseille parfois la tolérance à l’intérieur de la famille. H. M ICHAUX, La Vie dans les plis, 1949. * ** Poème en prose qui se situe d’emblée, par son titre, dans le registre merveilleux (une « mitrailleuse à gifles » n’existe pas ; elle n’est même pas concevable). Le ton en est violent, ce qui s’oppose à la conception conventionnelle de la poésie lyrique comme étalage de bons sentiments (v. questions 1 & 2) mais surprend moins si l’on se rappelle certains Petits Poèmes en prose de Baudelaire (« Le