COMMENTAIRE INTÉGRALEMENT RÉDIGÉ DU POÈME « UN RÊVE »

Au XIXème siècle, le mouvement romantique qui s'épanouit en Europe prend parfois un tour sombre et tourmenté: à une époque où l'on redécouvre le Moyen-Âge avec fascination, la sensibilité dite « gothique » se développe. Châteaux hantés, cimetières baignés de lune et moines diaboliques deviennent à la mode... C'est dans cette vague de romantisme « noir » que s'inscrit le recueil de poèmes d'Aloysius Bertrand intitulé Gaspard de la nuit. Publiée en 1842 à titre posthume, cette œuvre nous plonge en effet dans un univers médiéval empreint de magie noire. Elle fait également date dans l'histoire de la littérature, car les poèmes ont l'originalité d'être en prose: Bertrand bouleverse ainsi radicalement la définition de la poésie, jusque-là synonyme d'écriture en vers.
« Un rêve » est l'un des poèmes les plus connus de cet unique recueil d'un poète mort très jeune. Comme son titre le laisse supposer, il relate le songe nocturne d'un rêveur revenu à l'état de veille. Mais il s'agit avant tout d'un travail poétique: comment le poète, grâce à la forme particulière du poème en prose, parvient-il à recréer le climat d'étrangeté et d'effroi d'un cauchemar ?
Nous étudierons en premier lieu la structure complexe du poème, à la fois décousue – à l'image du rêve, et ordonnée comme un conte. Nous verrons ensuite comment le texte nous plonge dans l'atmosphère à la fois fantastique et effrayante d'un rêve « gothique ».

Le poète se propose de « rejouer » devant nous le spectacle d'une expérience initialement intime; celle d'« un rêve ». Le texte s'annonce en effet explicitement comme le récit d'une expérience onirique, et pas seulement par le titre, comme le montre l'épigraphe « J'ai rêvé tant et plus, mais je n'y entends note. » Extraite du Pantagruel de Rabelais, cette phrase place le poème sous le signe de la perplexité qu'éprouve tout rêveur lorsqu'il essaie, au réveil, de démêler l'écheveau de ses rêves. En outre,