Début de poil de carotte
Comme à l'ordinaire, M. Lepic vide sur la table sa carnassière. Elle contient deux perdrix. Grand frère Félix les inscrit sur une ardoise pendue au mur. C'est sa fonction. Chacun des enfants a la sienne. Soeur Ernestine dépouille et plume le gibier. Quant à Poil de Carotte, il est spécialement chargé d'achever les pièces blessées. Il doit ce privilège à la dureté bien connue de son coeur sec.
Les deux perdrix s'agitent, remuent le col.
Madame Lepic : Qu'est-ce que tu attends pour les tuer ?
Poil de Carotte : Maman, j'aimerais autant les marquer sur l'ardoise, à mon tour. Madame Lepic : L'ardoise est trop haute pour toi.
Poil de Carotte : Alors, j'aimerais autant les plumer.
Madame Lepic : Ce n'est pas l'affaire des hommes.
Poil de Carotte prend les deux perdrix. On lui donne obligeamment les indications d'usage :
-Serre-les là, tu sais bien, au cou, à rebrousse-plume.
Une pièce dans chaque main derrière son dos, il commence.
Monsieur Lepic : Deux à la fois, mâtin !
Poil de Carotte : C'est pour aller plus vite.
Madame Lepic : Ne fais donc pas ta sensitive ; en dedans, tu savoures ta joie. Les perdrix se défendent, convulsives, et, les ailes battantes, éparpillent leurs plumes. Jamais elles ne voudront mourir. Il étranglerait plus aisément, d'une main, un camarade. Il les met entre ses deux genoux, pour les contenir, et, tantôt rouge, tantôt blanc, en sueur, la tête haute afin de ne rien voir, il serre plus fort.
Elles s'obstinent.
Pris de la rage d'en finir, il les saisit par les pattes et leur cogne la tête sur le bout de son soulier.
Les Perdrix 4
-Oh ! le bourreau ! le bourreau ! s'écrient grand frère Félix et soeur
Ernestine.
-Le fait est qu'il raffine, dit madame Lepic. Les pauvres bêtes ! je ne voudrais pas être à leur place, entre ses griffes.
M. Lepic, un vieux chasseur pourtant, sort écoeuré.
-Voilà ! dit Poil de Carotte, en jetant les perdrix mortes sur la table.
Madame Lepic les tourne, les retourne. Des