French La rêveuse d Ostende
Éric-Emmanuel Schmitt
Nouvelle
2007
La rêveuse d’Ostende
Je crois que je n'ai jamais connu personne qui se révélât plus différente de son apparence qu'Emma Van A.
Lors d'une première rencontre, elle ne donnait à voir qu'une femme fragile, discrète, sans relief ni conversation, d'une banalité promise à l'oubli. Pourtant, parce qu'un jour j'ai touché sa réalité, elle ne cessera de me hanter, intriguante, impérieuse, brillante, paradoxale, inépuisable, m'ayant pour l'éternité accroché dans les filets de sa séduction.
Certaines femmes sont des trappes où l'on tombe. Parfois, de ces pièges, on ne veut plus sortir. Emma Van A. m'y tient.
Tout a commencé un timide, frais mois de mars, à Ostende.
J'avais toujours rêvé d'Ostende.
En voyage, les noms m'attirent avant les lieux. Dressés plus haut que les clochers, les mots carillonnent à distance, distincts à des milliers de kilomètres, envoyant les sons qui déclenchent les images.
Ostende…
Consonnes et voyelles dessinent un plan, dressent des murs, précisent une atmosphère. Quand la bourgade porte le patronyme d'un saint, ma fantaisie la construit autour d'une église ; dès que son vocable évoque la forêt – Boisfort – ou les champs – Champigny –, le vert envahit les ruelles ; s'il signale un matériau – Pierrefonds –, mon esprit gratte les crépis pour exalter les pierres ; évoque-t-il un prodige –
Dieulefit –, je conçois une cité posée sur un piton escarpé, dominant la campagne. Lorsque j'approche une ville, j'ai d'abord rendez-vous avec un nom. J'avais toujours rêvé d'Ostende.
J'aurais pu me contenter de la rêver sans y aller si une rupture sentimentale ne m'avait jeté sur les routes. Partir ! Quitter ce Paris trop imprégné des souvenirs d'un amour qui n'était plus. Vite, changer d'air, de climat…
Le Nord m'apparut une issue car nous n'y étions jamais passés
ensemble. En dépliant une carte, je fus aussitôt magnétisé par sept lettres tracées sur le bleu figurant la mer du Nord : Ostende. Non