Ibo victor hugo les contemplations
Victor HUGO
Recueil : "Les Contemplations"
Dites, pourquoi, dans l’insondable
Au mur d’airain,
Dans l’obscurité formidable
Du ciel serein,
Pourquoi, dans ce grand sanctuaire
Sourd et béni,
Pourquoi, sous l’immense suaire
De l’infini,
Enfouir vos lois éternelles
Et vos clartés ?
Vous savez bien que j’ai des ailes,
Ô vérités !
Pourquoi vous cachez-vous dans l’ombre
Qui nous confond ?
Pourquoi fuyez-vous l’homme sombre
Au vol profond ?
Que le mal détruise ou bâtisse,
Rampe ou soit roi,
Tu sais bien que j’irai, Justice,
J’irai vers toi !
Beauté sainte, Idéal qui germes
Chez les souffrants,
Toi par qui les esprits sont fermes
Et les cœurs grands,
Vous le savez, vous que j’adore,
Amour, Raison,
Qui vous levez comme l’aurore
Sur l’horizon,
Foi, ceinte d’un cercle d’étoiles,
Droit, bien de tous,
J’irai, Liberté qui te voiles,
J’irai vers vous !
Vous avez beau, sans fin, sans borne
Lueurs de Dieu,
Habiter la profondeur morne
Du gouffre bleu,
Ame à l’abîme habituée
Dès le berceau,
Je n’ai pas peur de la nuée ;
Je suis oiseau.
Je suis oiseau comme cet être
Qu’Amos rêvait,
Que saint Marc voyait apparaître
À son chevet,
Qui mêlait sur sa tête fière,
Dans les rayons,
L’aile de l’aigle à la crinière
Des grands lions.
J’ai des ailes. J’aspire au faîte ;
Mon vol est sûr ;
J’ai des ailes pour la tempête
Et pour l’azur.
Je gravis les marches sans nombre.
Je veux savoir ;
Quand la science serait sombre
Comme le soir !
Vous savez bien que l’âme affronte
Ce noir degré,
Et que, si haut qu’il faut qu’on monte,
J’y monterai !
Vous savez bien que l’âme est forte
Et ne craint rien
Quand le souffle de Dieu l’emporte !
Vous savez bien
Que j’irai jusqu’aux bleus pilastres,
Et que mon pas,
Sur l’échelle qui monte aux astres,
Ne tremble pas !
L’homme en cette époque agitée,
Sombre océan,
Doit faire comme Prométhée
Et comme Adam.
Il doit ravir au ciel austère
L’éternel feu ;