La peste
Ce personnage occupe dans La Peste une place tout à fait originale. D’abord, parce qu’il est assez largement le reflet de l’auteur, dans sa recherche pour fonder un nouvel humanisme ("Le plus proche de moi, ce n’est pas Tarrou, le saint, c’est Rieux le médecin", déclarait-il en juin 1947). D’autre part, c’est lui le narrateur de cette chronique imaginaire, bien que celle-ci soit écrite à la 3e personne, et qu’il ne dévoile son identité qu’à la fin. Paradoxalement, ce souci de discrétion, ce désir de ne pas s’attribuer un rôle central dans le récit des événements, renforcent la présence de Rieux, et, plus encore que dans ses actes ou ses pensées explicites, c’est dans son travail d’"écrivain malgré lui", dans les plus subtiles inflexions de son style que nous pourrons déceler les traits les plus profonds de sa personnalité.
Contrairement aux héros balzaciens, Rieux n’est pas décrit de l’extérieur avec précision. Son aspect physique est tout juste évoqué, dans la première partie, mais aucun trait vraiment original ne ressort et ne s’accroche à notre imagination par la suite. Par pudeur, par souci de ne pas révéler son identité, par son refus de toute complaisance narcissique, le narrateur ne se décrit même pas lui-même, mais se contente de reproduire quelques lignes du carnet de Tarrou : "Paraît trente-cinq ans. Taille moyenne, les épaules fortes. Visage presque rectangulaire. Les yeux sombres et droits, mais les mâchoires saillantes… Il a un peu l’air d’un paysan sicilien avec sa peau cuite, son poil noir et ses vêtements de teintes toujours