La photographie entre art et industrie
La question du rapport de la photographie à l'art s'est posée dès son apparition et sans ambiguïté. « Il y a deux mois, l'un des plus habiles praticiens du procédé nouveau de la photographie, M. Le Gray, envoyait au jury de l'exposition de 1850 neuf dessins sur papier, représentant des paysages, des portraits d'après nature, et d'après des tableaux. Quand on eut admiré la perfection surprenante des résultats obtenus, l'on se trouva embarrassé pour classer des ouvrages dignes de rivaliser avec les œuvres d'art les plus achevées, et qui toutefois, accomplis par un procédé purement théorique, ne se rattachent point d'une manière directe à la pratique du dessin. Rangées parmi les lithographies, les œuvres de l'habile héliographe furent annoncées sous cette rubrique au Livret de l'exposition actuelle.
Mais il survint une sous-Commission qui, envisageant la question à un autre point de vue, fit retirer les dessins de M. Le Gray.
Les premiers les avaient considérés comme œuvres d'art ; les seconds les ont classés parmi les produits de la science. Nous serions fort empêché de savoir à qui donner raison. »
Ainsi commence le premier des nombreux articles publiés par Francis Wey dans La Lumière, articles qui ont puissamment contribué à mettre en forme le discours sur la photographie. L'anecdote a un caractère si mythique, elle pose de façon si exemplaire la question du statut artistique de la photographie, qu'on a pu un moment la mettre en doute. Elle est pourtant avérée. Il y eut bien un premier tirage du livret du Salon de 1850 qui annonçait l'envoi de Gustave Le Gray ; il a disparu du tirage définitif. Les minutes des séances du jury sont trop sommaires pour qu'on sache précisément comment les choses se sont passées, mais le récit de Wey est confirmé pour l'essentiel. La photographie est devenue si omniprésente que nous avons du mal à imaginer la perplexité causée par son arrivée soudaine. L'insertion de la photographie dans