Le ballon
Charles CHAPLIN, 1940
"Des cris, des corps et des micros"
(Guillaume Dupont)
(c) Roy Export Company Establishment
Hynkel (Ch. Chaplin)
Comme Hitler, comme Saddam Hussein, comme Fidel Castro, le "Dictateur" de Chaplin est un tribun.
Pour Hynkel, faire un discours, c'est d'abord attraper une bonne suée... quitte à se balancer ensuite un verre d'eau froide dans le pantalon. Lorsqu'il se jette dans un discours, même les micros s'écrasent : pour Hynkel, debout face à la masse, le média n'est plus alors qu'un moyen de transmission entre lui et la foule passive, captivée.
Comme l'on dit dans les cours d'art dramatique, Hynkel travaille la projection. Et pour projeter, ça projette : lorsque le dictateur rencontre Napaloni face à un buffet bien garni, c'est un journaliste venu prendre des nouvelles du front diplomatique qui reçoit un pot de crême en pleine figure.
Hynkel peut être vu comme un chef d'orchestre ("conductor"). Cette image est appelée par Chaplin : un seul geste du bras suffit à son Hynkel pour arrêter net le cri de la foule. Cependant, ses interventions publiques ne se bornent pas à une direction gestuelle. Il y a chez Hynkel un plan, une division qui fait de sa parole autre chose qu'un simple cri : tout y est structuré par l'opposition haineuse entre "da Aryan" / et "da Juden" ("Aaaaah, da Juden !"). Squelette de discours qui est certes une régression rhétorique, mais qui peut contribuer à mobiliser une foule.
De plus, si nulle phrase n'émerge véritablement de ces borborygmes, on y perçoit cependant des nuances. On entend ainsi à plusieurs reprises, et notamment dans une scène où Hynkel dicte une lettre à une secrétaire dactylographiste, quelque chose comme : "de Flüüük, Zakte 'Ü" -le doigt pointé sur le "Ü", comme s'il y avait là une idée qui lui tenait à coeur. Ce raffinement dans le n'importe quoi est sans doute l'effet comique le plus renversant de tout le film.
(c) Roy Export