Victor Hugo Choses vues « Le voleur de pain » 22 février 1846Hier, 22 février, j’allais à la Chambre des pairs. Il faisait beau et très froid, malgré le soleil et midi. Je vis venir rue de Tournon un homme que deux soldats emmenaient. Cet homme était blond, pâle, maigre, hagard ; trente ans à peu près, un pantalon de grosse toile, les pieds nus et écorchés dans des sabots avec des linges sanglants roulés autour des chevilles pour tenir lieu de bas ; une blouse courte et souillée de boue derrière le dos, ce qui indiquait qu’il couchait habituellement sur …afficher plus de contenu…

Je demeurai pensif. Cet homme n’était plus pour moi un homme, c’était le spectre de la misère, c’était l’apparition brusque, difforme, lugubre, en plein jour, en plein soleil, d’une révolution encore plongée dans les ténèbres mais qui vient. Autrefois le pauvre coudoyait[footnoteRef:5] le riche, ce spectre rencontrait cette gloire ; mais on ne se regardait pas. On passait. Cela pouvait durer ainsi longtemps. Du moment où cet homme s’aperçoit que cette femme existe tandis que cette femme ne s’aperçoit pas que cet homme est là, la catastrophe est inévitable. [5: Heurter quelqu’un du coude dans la …afficher plus de contenu…

Sorte de journal intime. Présentation de l’extrait :· Cette scène date de 1846 alors qu’on est sous la Monarchie de Juillet (Louis-Philippe) et que Hugo est élu à la chambre des pairs comme député. · L’homme en question = marque l’esprit de Hugo, servira de modèle au personnage de Jean Valjean dans Les MisérablesProblématique : quels sont les éléments qui permettent à Hugo de tirer une leçon de cet épisode ?Mouvements du