LES VRAIES RICHESSES giono patrick
Je n’ai plus voulu être autre chose que ce morceau de vie dans la terre. Inlassablement j’ai labouré sous les retours périodiques des saisons. Je n’ai pas transformé la terre en personnage dramatique, je l’ai mélangé intimement à moi-même et j’ai essayé d’exprimer la tragédie commune. Mais à mesure que j’organisais pour moi cette vie apparemment sévère, j’étais plus librement admis dans les éclats de givre, sur les toiles embuées du matin, à suivre les nervures des feuilles je trouvais des chemins égarés, ma bêche soulevait des continents. Nous vivons en des temps d’impureté et de désespérance si grandes qu’on a cru parfois que nous avions atteint les temps d’absinthe marqués par les prophètes. La terre prise dans la flambée des illogiques désirs, ne maitrisant plus les travaux qui la déchirent, sait bien la misère morale des meilleurs d’entre nous, la misère physique d’un peuple soumis à des lois arbitraires. Il m’a semblé qu’elle désirait porter secours. Sa paix, vous le savez, tous les hommes enragés peuvent l’avoir.
Les possibilités d’un être sensible se capitalisent en lui-même et lui appartiennent éternellement, pour tout le cycle de la roue. C’est pourquoi j’ai décrit les printemps, les étés, les automnes et les hivers, puis encore les saisons, et encore les saisons, et toujours, comme elles reviennent elles mêmes en vérité dans le monde, ne cessant de répéter : « Prends, prends, prends, c’est à toi ». La terre ramasse tout, j’ai mis ses glands dans mes poches, j’ai planqué ses pierres dans des restanques cachées, j’ai entassé ses bois dans des abris, j’ai mangé goulûment ses fruits. Elle me demande de n’en rien dire, ne rien laisser derrière qui puisse faire croire qu’il y avait là un trésor, un cèpe, une mûre. Je me suis imposé le devoir de garder au secret toutes mes joies venant d’elle et il n’a jamais été si nécessaire de le faire.
Si chacun ainsi pouvait être le gardien de sa réserve naturelle, de son