Michel crozier, sociologie des organisations
De quoi s'agit-il ?
Christophe Premat : Michel Crozier, votre nom est associé à une démarche et à une discipline de la sociologie, la sociologie des organisations. La sociologie des organisations comprend l'action collective à partir de l'analyse des interdépendances stratégiques entre les acteurs d'une institution. Pourriez-vous rappeler la genèse de cette entreprise novatrice en sociologie et en scander rapidement les étapes ?
Michel Crozier : Permettez-moi de préciser un point dans votre question. Il s'agit d'une entreprise « novatrice » en France mais pas aux États-Unis. J'ai été d'abord passionné par une question bête et les questions bêtes sont toujours importantes : comment les gens peuvent-ils travailler ensemble dans une organisation quelconque avec toutes les difficultés et tous les problèmes de coopération auxquels ils sont confrontés ? Autrement dit, pourquoi ça marche ?
Cette attitude pragmatique m'incitait à m'interroger sur la constitution de toutes sortes d'organisations.
À la fin de la guerre, le climat intellectuel français était dominé par un marxisme tout à fait vulgaire et je n'en étais absolument pas satisfait. Je me suis donc mis à lire réellement Le Capital de Marx, je dis « réellement » car à l'époque, les gens se disaient marxistes, mais ne lisaient pas Le Capital. J'ai été impressionné par l'analyse systémique de Marx qui, à travers différents modèles, explique pourquoi les gens sont forcés de travailler, parce qu'ils sont en surnombre et qu'il n'y a que cette seule possibilité. J'ai eu la chance d'aller aux États-Unis en 1947 pour mener une étude sur les syndicats ouvriers américains. J'y ai appris à réaliser des « interviews » (avec des syndicalistes, dans le cadre de mon étude) de manière systématique. Ce métier me plaisait par sa bizarrerie, car on interviewait comme des journalistes. Or, l'idée d'un journaliste est de saisir l'extérieur, celui-ci reflétant l'intérieur d'une organisation. Cela me passionnait