Pogam
La notion de lien social est faussement simple à saisir. Très souvent mobilisée sans être définie, elle renvoie cependant à des mécanismes complexes dont l’analyse est au cœur de la pensée sociologique. Dès ses débuts la sociologie a montré l’évolution des liens sociaux dans un contexte d’individualisation croissant. L’analyse du lien social et de son évolution à la fin du XIXe siècle est inséparable de la compréhension du changement social, qui touche la société de l’époque. Ce thème est abordé dans le premier chapitre intitulé « L’interrogation sociologique ». Serge Paugam propose de réfléchir à partir de la thèse d’Émile Durkheim De la division du travail social, soutenue en 1893. Ce dernier analyse le changement social en portant son regard au niveau des liens de solidarité. Les sociétés traditionnelles, à dominante agraire, étaient caractérisées par la solidarité mécanique organisée par la communauté locale entre des individus qui partagent les mêmes valeurs et se conforment aux règles collectives. La conscience collective que Durkheim définit comme « l’ensemble des croyances et des sentiments communs à la moyenne des membres d’une même société » imprègne davantage les comportements dans les sociétés traditionnelles. La modernité se traduit par une solidarité organique, fondée sur la complémentarité et l’interdépendance des individus et des fonctions sociales qu’ils remplissent. Cette complémentarité, qui résulte de la division du travail social est rendue possible par un affaiblissement de la conscience collective. Le sociologue allemand Ferdinand Tönnies avait également posé la question de la transformation du lien social dès 1887. Il oppose deux types idéaux, la communauté propre aux sociétés traditionnelles, au sein desquelles la proximité et l’interconnaissance de ses membres est forte ; la société est quant à elle impersonnelle, les relations en son sein sont contractuelles et non plus fondées