Pourquoi desirer limpossible
Les Grands hommes, qui ont changé le cours de l’histoire, ou l’ont façonné sur le modèle de leur volonté, sont ceux qui ont rendu possible ce qui paraissait inconcevable, ou inaccessible. Les Grands hommes ont désiré ce à quoi tout le monde avait renoncé, ou n’avait même pas osé penser, étant donné son caractère a priori irréalisable. Mais précisément, on peut se demander ce qui a pu faire que ces hommes, contrairement aux autres, ne se soient pas refusé leurs rêves, aient pu céder à la tentation d’accomplir l’impossible. Plus étrange encore, comment psychologiquement expliquer que ces hommes aient même eu le désir conscient de réaliser quelque chose que le bon sens leur indiquait irréalisable. Comment comprendre qu’un individu veuille délibérément l’inaccessible, qu’il entreprenne des travaux pharaoniques, des conquêtes apparemment sans fin ou perdues d’avance, des voyages périlleux dont il sait décemment ne pouvoir revenir vivant, qu’il passe sa vie à chercher la pierre philosophale, ou qu’il aspire à la sainteté ? Ce que l’on se demande ici, c’est pourquoi désirer l’impossible ?
La formulation de la question met d’emblée en opposition le désir de l’homme, qui peut se définir comme un élan, une aspiration, une tension vers quelque chose, cette aspiration étant la plupart du temps consciente. Et l’impossible, qui désigne ce qui ne peut être, ce qui ne peut être réel, ni réalisable, parce cela est contradictoire, par exemple. Il désigne donc ce qui est inacessible. Or tout désir vise la réalisation d’un événement. Je désire qu’autrui m’aime, que je puisse manger à ma faim, que je devienne médecin. Autrement dit, je désire que l’événement « manger à sa fin » se réalise, qu’il prenne la consistance du réel. Même quand on dit que l’on désire une voiture, on désire que l’événement « avoir une voiture » se réalise. Comment, par conséquent, le désir peut-il porter sur ce qui par définition ne peut pas « être » ? Le sujet nous interroge