La poésie, Il en existe pratiquement autant de définitions, et très variables, que de poètes. Ce n’est guère étonnant : la poésie réalise un « mode d’emploi » du langage qui est à l’opposé même de la notion de « définition ». L’idée qu’un poète ne peut davantage définir un poème qu’une fleur discourir de botanique, est évidemment une boutade : le poète sait fort bien, expérimentalement, ce qu’est un poème et comment il se crée – mais le savoir et tous les savoir-faire qu’il met en œuvre à cette fin sont eux-mêmes de l’ordre intuitif et englobant du langage poétique (je n’y inclus évidemment pas l’arithmétique qui s’emploie pour compter les pieds d’un vers – preuve de plus que les formes fixes ne relèvent pas intrinsèquement de l’acte poétique). Or pour les exposer « en prose », avec critères et définitions, il lui faut renoncer à ce style intuitif du langage pour en revenir à l’approche rationnelle et discursive, qui soudain perd de vue le sujet même qu’il s’agit d’exposer.
Une des définitions globales les plus pertinentes de la poésie est que c’est l’art du langage, c’est-à-dire qu’elle consiste en un emploi soutenu de toutes les virtualités du langage (signification(s), structure(s), musicalité, écriture etc.) à des fins esthétiques. C’est assez minimaliste et, même ainsi, cela requiert une certaine prudence :
1) Peu de paroles (même malhabiles ou purement utilitaires) font entièrement abstraction de valeurs de justesse, de précision, de pittoresque, de rythme, d’éloquence etc. qu’on ne saurait détacher entièrement du registre esthétique (les premiers emplois du langage, dans l’enfance, cultivent tout spécialement des valeurs de musicalité, de plaisir phonatoire etc. : musique expressive, le langage a pu l’être dès avant que se forgent mots et phrases, et jamais ne cessa de l’être, fût-ce dans ses emplois les plus doctoraux). Et tout auteur en prose tend de même à donner à son style un relief esthétique – même si, dans cette recherche de l’élégance