Qu'est ce que penser ?
Parmi les papiers de Kant publiés à titre posthume on trouve, soigneusement rédigée sur deux pages, une réflexion sur ce que c’est que penser. Le philosophe se demande : penser, est-ce une expérience ?
L’expérience est une connaissance d’objet et non une simple perception. Je vois le soleil, je sens la chaleur de l’air : cette perception vaut d’abord pour moi, elle exprime ce que je sens. Le soleil échauffe l’air : cette expérience vaut pour n’importe qui, elle exprime un fait. D’après cet exemple, ce qui transforme la perception en expérience, c’est le lien établi par la pensée entre les deux perceptions isolées, le soleil et la chaleur : grâce au concept de causalité, nous connaissons le soleil comme une cause et la chaleur comme un effet. Et cette connaissance accessible à tous, c’est ce que chacun appelle expérience.
Maintenant, penser est-il une expérience ? Nous savons et éprouvons que nous pensons, nous avons conscience de penser : pour autant, est-ce une expérience, c’est-à-dire une connaissance d’objet ?
Kant compare l’acte de penser la définition du carré en général et le fait de considérer une figure tracée quelque part. Reconnaître qu’une figure est un carré, c’est une véritable expérience : non seulement je perçois des couleurs, des traits, des coins, mais je pense dans ce tracé l’égalité des côtés et des angles et ce faisant je connais objectivement le tracé comme un carré. En revanche, quand je pense simplement la définition du carré en général, je ne saisis ni ne connais aucun objet. Lorsque j’envisage les différentes notions qui composent la définition, sans les rapporter à mes perceptions, cette analyse ne me fait rien connaître. En ce sens, penser le carré n’est pas une expérience.
Mais n’est-ce pas au moins une expérience intérieure ? Car je peux observer et percevoir mes pensées ; et d’avoir réfléchi pendant un moment sur le carré m’apprend bien quelque chose, non sur le monde, mais sur moi-même, puisque cet