Renaud
Irène Cohen-Janca
Maurizio A.C. Quarello
Dans les villes de poussière et de bruit, je suis celui qui le premier annonce la venue du printemps.
En avril éclosent mes bourgeons et d'un même élan surgissent mes fleurs et mes feuilles.
Je suis un marronnier.
Depuis cent cinquante ans, je vis dans un jardin derrière la maison 263, Canal de l'Empereur, à Amsterdam.
Mais une grave maladie me fait mourir lentement.
Un minuscule papillon mine mes feuilles, qui deviennent brunes et dès le mois de juillet tombent, me laissant dépouillé en plein coeur de l'été. Les moisissures gagnent mon bois et mon tronc risque de rompre.
Bientôt, peut-être, les hommes m'abattront. Aussi je veux raconter ce qui, au 263, Canal de l'Empereur, il y a bien longtemps s'est passé...
Dans les jardins, sur les avenues, dans les cours d'écoles, nous, les marronniers, tenons bien notre rôle.
Aux garçons, nous donnons nos marrons bien dures, lisses et brillants pour qu'ils fassent des batailles, aux vieux pour qu'ils les glissent dans leurs poches contre les méchants rhumatismes, aux tout-petits pour qu'ils les peignent, les transpercent, les collent.
Aux amoureux nous donnons l'ombre de notre large feuillage.
A tous ceux qui attendent, nous donnons notre tronc pour qu'ils s'appuient sans avoir l'air trop bête.
Aux oiseaux le refuge de nos branches pour qu'ils y construisent leur nid et abritent leur chant, au vent notre immense ramure pour qu'il fasse entendre son murmure et son sifflement.
Moi, le marronnier dans le jardin de la maison 263, Canal de l'Empereur, j'ai donné à une jeune fille de treize ans, captive comme un oiseau en cage, un peu d'espoir et de beauté.
A elle qui, dans sa cachette, rêvait de sentir sur son visage l'air glacé, la chaleur du soleil et la morsure du vent, j'ai donné par mes métamorphoses le spectacle des saisons.
C'était il y a soixante ans et un mal terrible