Rutebeuf
Fabliaux
Le dit de Frère Denise le cordelier
L'habit ne fait pas l'ermite.
Si un homme habite un ermitage; qu'il est vêtu de pauvres vêtements, je n'estime pas un brin ses habitudes vestimentaires s'il ne mène pas une vie aussi pure que l'annoncent ses vêtements.
Mais bien des gens font étalage de leurs vertus de façon incroyable: ils ressemblent aux arbres qui ne donnent rien après une floraison superbe.
Ces gens-là devraient mourir dans la honte et l'ignominie.
Un proverbe dit que tout ce qui brille n'est pas or.
C'est pourquoi il me faut, avant de mourir, faire un fabliau sur l'histoire de la plus belle créature qu'on puisse trouver de Paris jusqu'en Angleterre.
Je vais vous dire ce qu'il advint.
Plus de vingt nobles seigneurs avaient demandé sa main, mais elle ne voulait en aucune façon recevoir l'ordre de mariage: elle avait fait voeu de virginité à Dieu et à Notre Dame.
La jeune fille était de naissance noble: son père avait été chevalier.
Elle avait sa mère, mais ni frère ni soeur.
Sa mère et elle, je crois, s'aimaient beaucoup.
Tous les Frères Mineurs qui passaient par là fréquentaient la maison.
Il advint que l'un d'eux ensorcela la demoiselle de la façon que je vais vous dire.
La jeune fille le pria de demander à sa mère qu'elle la fît entrer au couvent, et il lui dit: "Chère amie, si vous vouliez mener la vie de saint François, comme nous le faisons, vous ne pourriez manquer d'atteindre la sainteté."
Et elle, qui était déjà touchée, conquise, matée, vaincue, aussitôt qu'elle eut entendu les propos du frère mineur, lui dit: "Sur mon honneur (que Dieu le garde), aucune chose ne pourrait me faire une si grande joie
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