Sport et argent
"L'unanimisme autour de la Coupe du Monde de football et autour du sport est un phénomène tellement étonnant et inquiétant qu'il doit être interrogé. Un discours unique, comme dans les sociétés totalitaires de naguère, enveloppe la société : le discours sportif. Il occupe de plus en plus de place, étant devenu envahissant. Le sport n'est plus un divertissement, un simple spectacle, il n'est plus un une activité annexe dans l'humanité, il s'est installé à la place centrale du monde contemporain. Pour beaucoup de nos contemporains, il est la chose la plus importante de la vie.
Le sport rend visible, partout et à chaque instant, l'âme du monde moderne : la passion de l'illimité, du toujours plus. Quelle est la loi de ce monde, dont une célèbre formule de Descartes - "nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature" - a donné le coup d'envoi ? La voici : le refus de la limite, de la finitude, la poursuite du " toujours plus ". Le monde moderne est sous l'emprise du quantitatif, du chiffre.
Le sport est analogue au capital : il doit toujours se dépasser lui-même, n'existant que pour l'auto-dépassement. Non seulement il exige chaque jour des performances dépassant celles de la veille, mais aussi il réclame toujours plus de spectateurs, toujours plus d'audimat, toujours plus d'argent, toujours plus d'événements. Il est une machine à alimenter le vertige du quantitatif. Le sport ne supporte pas la limite – cette haine de la limite signalant le trait saillant distinguant la civilisation moderne occidentale de toutes les autres. Dans la modernité l'existence humaine épouse les contours du capital – il est exigé d'elle de faire toujours plus, de courir toujours plus vite, de vivre plus longtemps, de travailler plus intensément, de gagner toujours plus d'argent, d'améliorer ses performances, de rester jeune le plus longtemps