Stendhal
L'action se situe à Verrières, petite ville de Franche Comté, sous la Restauration; Julien est le troisième fils du vieux charpentier Sorel qui méprise les « choses intellectuelles »; Julien se révèle très tôt doué pour les études; il voue une admiration sans bornes à Napoléon Bonaparte, qu'il considère comme un modèle de réussite. L'abbé Chélan le recommande au Maire de Verrières, Monsieur de Rênal, comme précepteur de ses enfants. Le père Sorel, à qui l'on vient de faire cette proposition , va chercher son fils à la scierie; il le trouve occupé à lire au lieu de surveiller les machines.... Le lecteur découvre Julien..
En approchant de son usine, le père Sorel appela Julien de sa voix de stentor ; personne ne répondit. Il ne vit que ses fils aînés, espèces de géants qui, armés de lourdes haches, équarrissaient les troncs de sapin, qu'ils allaient porter à la scie. Tout occupés à suivre exactement la marque noire tracée sur la pièce de bois, chaque coup de leur hache en séparait des copeaux énormes. Ils n'entendirent pas la voix de leur père. Celui-ci se dirigea vers le hangar ; en y entrant, il chercha vainement Julien à la place qu'il aurait dû occuper, à côté de la scie. Il l'aperçût à cinq ou six pieds de haut, à cheval sur l'une des pièces de la toiture. Au lieu de surveiller attentivement l'action de tout le mécanisme, Julien lisait. Rien n'était plus antipathique au vieux Sorel ; il eût peut-être pardonné à Julien sa taille mince, peu propre aux travaux de force, et si différente de celle de ses aînés ; mais cette manie de lecture lui était odieuse, il ne savait pas lire lui-même.
Ce fut en vain qu'il appela Julien deux ou trois fois. L'attention que le jeune homme donnait à son livre, bien plus que le bruit de la scie, l'empêcha d'entendre la terrible voix de son père. Enfin, malgré son âge, celui-ci sauta lestement sur l'arbre soumis à l'action de la scie,