Universalismes et Particularisme
Peut-on trouver aujourd'hui un seul concept qui vaille pour les Bambaras, les
Tarahumaras, les Inuits, les paysans de Canton, les citoyens français, les minorités nord-américaines, les peuples de l'Est de l'Europe? C'est justement au moment où, depuis 150 ans, la pensée peut englober dans une vision vraiment universelle l'ensemble des conditions humaines que, là où ces conditions pourraient être les plus ouvertes, les plus fraternelles, les plus "objectives", cet universalisme se déchire en particularismes et se dégrade en purs individualismes.
Un survol rapide des rapports de ce couple fondamental de la pensée passe par un bref rappel historique de son évolution. On sait que le monde de l'Universel a été inventé dans des endroits et des circonstances très particuliers: l'Universel du Bien, enfanté quelque part entre Le Pirée et Athènes, quelque temps après que l'Universel de la Loi ait été gravé sur le Mont Sinaï. L'un et l'autre se posent d'emblée comme valant pour tous les hommes, et en particulier à condition qu'ils soient citoyens athéniens, ou qu'ils appartiennent à la communauté des tribus d'Israël. Vertus bien particulières, mais qui sont immédiatement dépassées dans les paroles ou les actes fondateurs de ces deux universalismes.
Il est aussi curieux de remarquer que, par un renversement intéressant, c'est dans la polis grecque que les réflexions politiques tournent autour du Bien, du Vrai et du
Beau, alors que l'enracinement de la croyance dans des petites communautés de type familial se fait autour de la Loi et du Livre.
A partir de ces moments fondateurs, on peut distinguer trois moments de l'esprit, trois époques de notre histoire européenne:
Première époque:
L'âge de l'Un ontologique, en reprenant l'analyse de Marcel Gauchet, qui va tenir les peuples d'Europe, donc l'Univers, pendant près de 16 siècles, après que les deux universaux du Bien et de la Loi aient été mêlés, revisités, transcendés