Voyage
Moi d'abord la campagne , faut que je le dise tout de suite , j'ai jamais pu la sentir , je l'ai toujours trouvée triste , avec ses bourbiers qui n'en finissent pas , ses maisons où les gens n'y sont jamais et ses chemins qui ne vont nulle part . Mais quand on y ajoute la guerre en plus , c'est à pas y tenir . Le vent s'était levé , brutal , de chaque côté des talus , les peupliers mêlaient leurs rafales de feuilles aux petits bruits secs qui venaient de là-bas sur nous . Ces soldats inconnus nous rataient sans cesse , mais tout en nous entourant de mille morts , on s'en trouvait comme habillés . Je n'osais plus remuer.
Ce colonel c'était donc un monstre ! A présent , j'en étais assuré , pire qu'un chien , il n'imaginait pas son trépas ! Je conçus en même temps qu'il devait y en avoir beaucoup des comme lui dans notre armée , des braves , et puis tout autant sans doute dans l'armée d'en face . Qui savait combien ? Un , deux , plusieurs millions peut-être en tout ? Dés lors ma frousse devint panique . Avec des êtres semblables , cette imbécillité infernale pouvait continuer indéfiniment ...Pourquoi s'arrêteraient-ils ? Jamais , je n'avais senti plus implacable la sentence des hommes et des choses .
Serais-je donc le seul lâche sur la terre ? Pensais-je . Et avec quel effroi !...Perdu parmi deux millions de fous héroïques et déchaînés et armés jusqu'au cheveux ? Avec casques, sans casques , sans chevaux , sur motos , hurlants , en auto , sifflants , tirailleurs , comploteurs , volants , à