a une passante baudelaire analyse
À UNE PASSANTE
La rue assourdissante autour de moi hurlait. Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse, Une femme passa, d’une main fastueuse Soulevant, balançant le feston et l’ourlet ; Agile et noble, avec sa jambe de statue. Moi, je buvais, crispé comme un extravagant, Dans son œil, ciel livide où germe l’ouragan, La douceur qui fascine et le plaisir qui tue. Un éclair… puis la nuit ! - Fugitive beauté Dont le regard m’a fait soudainement renaître, Ne te verrai-je plus que dans l’éternité ? Ailleurs, bien loin d’ici ! trop tard ! jamais peut-être ! Car j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais, Ô toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais ! »
Extrait des Fleurs du Mal, « Tableaux parisiens » (1861).
Commentaire :
INTRODUCTION
Il s’agit d’un sonnet de Baudelaire extrait des Fleurs du Mal parues en 1857. Dans cette partie du recueil, intitulée « Tableaux parisiens » (1861), le poète peint des scènes de la vie quotidienne, scènes prises sur le vif et d’autant plus fortes que Baudelaire en saisit la soudaineté. Un sonnet est constitué par deux quatrains à rimes embrassées (ABBA-ABBA) et par deux tercets qui peuvent rimer selon deux schémas différents : CDD-EED ou CCD EDE. Mais, si les sonnets sont nombreux dans Les Fleurs du Mal, ils sont très rarement réguliers. Le schéma métrique de « À une passante » est assez particulier : A’BBA-CDDC-AEA-EA’A’. Ce que le sonnet perd en cohérence puisque les rimes ne sont pas semblables dans les deux quatrains, il le regagne très largement grâce aux retours dans les tercets de A et A’ (« hurlait » v. 1 ne constitue qu’une assonance très riche par rapport à « ourlet » v. 4) et grâce à la très grande densité des rimes internes (« assourdissante » v. 1, « Soulevant, balançant » v. 4 préparent la rime DD ; « je buvais » v. 6, « éclair » v. 9, « m’a fait » v. 10, « verrai » v. 11, « jamais » v. 12, « tu ne sais » v. 13, « aimée » v. 14 reprennent AA’ et