L'urgence sociale
Pierre A. Vidal-Naquet est sociologue au Cerpe, (Lyon)
Article écrit le 02 janvier 2005
Restos du cœur, épiceries sociales, foyers d’accueil, hôtels sociaux… Le champ de l’urgence est illimité. Mais cette réponse sans conditions ne peut être seulement de compassion.
L’approche humanitaire de l’exclusion semble avoir acquis un certain droit de cité au cours des deux dernières décennies. C’est, en effet, durant cette période que se dessinent les contours d’un nouveau secteur dans le champ des politiques sociales. Pour répondre aux besoins de personnes délaissées, entièrement ou en partie, par les dispositifs « normalisés », les structures d’urgence se spécialisent peu à peu dans l’accueil des publics a priori indéfinissables, dans l’accueil de tous les « sans » : sans abri, sans emploi, sans revenu, sans famille, sans droits… Elles adoptent ainsi des principes qui tranchent par rapport à ceux qui orientent classiquement les politiques sociales.
L’accueil inconditionnel
En général, en effet, c’est sous certaines conditions que l’aide sociale est distribuée aux ayants droit. Or, dans le secteur de l’urgence, la notion d’inconditionnalité apparaît comme une autre modalité d’accueil et de soutien des personnes, repoussant les limites d’accès aux services de protection. Quand la conditionnalité maintient assez élevés des seuils d’accès et peut devenir un facteur d’exclusion, l’inconditionnalité élargit les portes d’entrée dans des dispositifs ouverts à tous. L’accueil et le service rendu ne sont pas, ici, la contrepartie d’un quelconque engagement de l’usager. Les rapports entre accueillants et accueillis ne sont pas contractuels.
Pratiquement, l’inconditionnalité se décline de plusieurs façons. Elle est d’abord « temporelle », la détresse sociale justifiant des interventions qui ne peuvent être différées et ne relèvent pas de la logique du rendez-vous. L’inconditionnalité est ensuite « spatiale », la détresse sociale étant traitée