ALAIN Le doute est le sel de l'esprit
Croire est agréable. C’est une ivresse dont il faut se priver. Ou alors dites adieu à liberté, à justice, à paix. Il est naturel et délicieux de croire que la République nous donnera tous ces biens ; ou, si la République ne peut, on veut croire que Coopération, Socialisme, Communisme ou quelque autre constitution nous permettra de nous fier au jugement d’autrui, enfin de dormir les yeux ouverts comme font les bêtes. Mais non. La fonction de penser ne se délègue point. Dès que la tête humaine reprend son antique mouvement de haut en bas, pour dire oui, aussitôt les rois reviennent. »
Alain, Propos sur les pouvoirs, §140.
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Ce texte d’Alain fait l’éloge du doute et développe une critique des croyances. Il y a donc une double thèse. D’une part, le doute qui consiste à suspendre son jugement, et à refuser de croire, est, selon Alain, non pas un échec, mais « le sel de l’esprit ». Il faut s’interroger sur la positivité du doute : pourquoi est-ce bénéfique de douter ? D’autre part, Alain se montre hostile à l’égard des croyances : croire est « une ivresse dont il faut se passer ». Croire est le contraire de douter : celui qui croit, au lieu de douter et de suspendre son jugement, adhère à une idée, sans avoir une garantie objective. On a ainsi les deux moments du texte (le §1 sur le doute et le §2, sur la croyance et son impact