Bac de français
Introduction + choses à savoir
Peut‐on s’extraire assez de sa propre culture pour la juger avec impartialité ? Découverte tardive, l’île de Tahiti est apparue aux Européens comme un véritable paradis. Mais les contemporains de Bougainville avaient déjà pu mesurer sur pièces les méfaits d’une colonisation débutée avec les grandes expéditions de la Renaissance. Un projet collectif comme L’Encyclopédie, des essais comme L’Esprit des lois de Montesquieu (1748) ou un conte comme Candide de Voltaire (1759) placent en effet la critique de la destruction des peuplades indigènes et de l’esclavage au cœur du combat des Lumières. Il n’est donc pas étonnant de voir Diderot réagir, en 1772, à la publication du journal de l’explorateur par la rédaction d’un Supplément au Voyage de Bougainville, dans lequel le philosophe condamne vivement l’action de son pays. On sait qu’il y donne la parole à un vénérable « Otaïtien » qui salue le départ des Français par un discours véhément, dénonçant la prise de possession de l’île. C’est un extrait de ce réquisitoire que nous allons étudier. Pourquoi Diderot prend‐il le risque de mettre dans la bouche d’un Tahitien un texte aussi évidemment travaillé selon les canons de la rhétorique européenne ? Loin de priver les vaincus de leur voix, le procédé leur prête les puissances de l’éloquence. C’est aussi l’occasion pour le vieillard de livrer un jugement contrasté et implacable sur les deux civilisations en présence. Et surtout, derrière cette figure, Diderot donne une leçon de relativisme à ses lecteurs, quitte à mettre en cause la foi dans les « lumières » elles‐mêmes.
Diderot place dans la bouche du vieillard un discours virulent, car le personnage emprunte à la fois aux ressources de l’émotion et de l’argumentation pour livrer un réquisitoire qui oscille entre l’éloquence judiciaire et la prophétie.
L’implication du locuteur est rendue sensible