Baudelaire - l’invitation au voyage
Mon enfant, ma soeur, Songe à la douceur D'aller là-bas vivre ensemble ! Aimer à loisir, Aimer et mourir Au pays qui te ressemble ! Les soleils mouillés De ces ciels brouillés Pour mon esprit ont les charmes Si mystérieux De tes traîtres yeux, Brillant à travers leurs larmes. Là, tout n'est qu'ordre et beauté, Luxe, calme et volupté. Des meubles luisants, Polis par les ans, Décoreraient notre chambre ; Les plus rares fleurs Mêlant leurs odeurs Aux vagues senteurs de l'ambre, Les riches plafonds, Les miroirs profonds, La splendeur orientale, Tout y parlerait À l'âme en secret Sa douce langue natale. Là, tout n'est qu'ordre et beauté, Luxe, calme et volupté. Vois sur ces canaux Dormir ces vaisseaux Dont l'humeur est vagabonde ; C'est pour assouvir Ton moindre désir Qu'ils viennent du bout du monde. - Les soleils couchants Revêtent les champs, Les canaux, la ville entière, D'hyacinthe et d'or ; Le monde s'endort Dans une chaude lumière.
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Là, tout n'est qu'ordre et beauté, Luxe, calme et volupté. Note liminaire : Il existe toujours un risque à démonter l'unité immédiate d'un poème. Cependant la complexité de « L'invitation au voyage » nécessitait une telle opération préalable pour que la lecture résultante puisse faire vibrer toutes les harmonies internes. Un second parti-pris pédagogique nous a conduit à considérer que la meilleure interprétation d'une œuvre d'art consistait à s'appuyer sur les autres créations de l'artiste.
Introduction
Les Fleurs du mal sont un recueil poétique de Baudelaire publié en 1857, reprenant toutes ses créations depuis 1840. L'ouvrage a été retouché en 1861 après avoir été condamné en justice pour immoralité, puis complété à titre posthume en 1868 pour sa dernière édition. Baudelaire y évoque ses tourments internes, la fêlure qui meurtrit son âme, la lutte sans fin entre le Spleen et l'Idéal qui le consume inexorablement. « L’invitation au voyage » est un poème versifié célèbre extrait de la première (et