Bibliothècaire
LE PROBLÈME DU POINT DE VUE DANS LE TEXTE DE THÉÂTRE Alain RABATEL
IUFM de Lyon, ICAR, Université Lyon 2, UMR CNRS 6175
Existe-t-il un point de vue dans les textes théâtraux ? La réponse dépend de ce qu'on entend par point de vue (désormais PDV), notion qui renvoie, dans le langage courant, à l'expression d'une opinion ou d'une perception et qui apparaît dans des contextes – argumentatif ou narratif – que les sciences du langage ont tendance à opposer. Si l'on interprète le PDV au sens d'opinion, de représentation personnelle ou doxique susceptible de faire se mouvoir les individus (Nonnon 1999) ou (de chaîne) d'argument(s), comme il en existe dans les interactions verbales argumentatives, alors la réponse est oui, massivement. Si en revanche l'on restreint le PDV à un phénomène narratif, à l'instar des « focalisations » (Genette 1972, 1983), la réponse est nettement moins assurée : d'abord parce que la focalisation externe n'a aucun fondement linguistique (Rabatel 1997a, b), ensuite parce que la focalisation zéro y apparaît très problématique, dans la mesure où le texte théâtral se caractérise par l'absence de narrateur primaire (1). En sorte que la seule instance disponible pour un PDV est le person nage. Encore faut-il préciser que nombre d'exemples de PDV du personnage relèvent de contextes narratifs à la troisième personne (Banfield 1995, Rabatel 1998), alors que les tours de parole des personnages renvoient à l'énonciation personnelle, ce qui limite énormément les PDV hétérodiégétiques, le texte de théâtre reposant rarement sur le plan d'énonciation historique, sauf dans quelques monologues narratifs. Reste donc une focalisation interne à la première per sonne, ce qui semble restreindre la portée du phénomène. Ces deux réponses contrastées invitent à revenir sur la définition du PDV. On le fera à partir de sa nature radicalement polyphonique, permettant au locuteur d'ex primer son PDV, ou de se positionner face aux