Ce n'est pas ce qui est regardé qui definit la poésie, mais le regard du poète
Poème extrait de « L’ignorant ».
Composé de 27 alexandrins, distribué en trois parties de longueurs inégales, que ne fait pas apparaître la disposition du texte dans l’édition de poche, puisque le blanc qui sépare le 19e et le 20e vers n’est pas sensible à l’oeil.
Ce texte définit « le travail du poète » en ayant successivement recours à une définition (v 1 à 4), un bref récit à valeur d’exemple (v 5 à 11), un questionnement hypothétique suivi d’une adresse imaginaire (v 12 à 19) et une conclusion-déduction qui se clôt par une ultime image (v 20 à 27).
On observera que Jaccottet mêle dans ce texte, comme souvent, la méditation à des éléments de narration, de description et de dialogue et que sans aller jusqu’à l’allégorie il se plaît à donner figure symboliquement à des entités abstraites.
« L’ouvrage d’un regard »
De façon surprenante, et comme en prenant à contrepied l’effet d’attente induit par le titre, le début du poème substitue à l’attendu « travail du poète » l’ouvrage d’un regard : une équivalence implicite est proposée entre « ouvrage d ‘un regard » et « travail du poète ». Un sens est donc élu entre tous, le poète est identifié par synecdoque à son regard. Encore n’est-il pas ici question d’une identification absolue ou restrictive, puisque le caractère indéterminé de la formule (« un regard ») conduit aussi bien à entendre qu’il sera ici question du regard humain en général. Voici qu’en poésie, ce regard devient artisan : il travaille.
Les quatre premiers vers définissent la tâche ou le devoir du poète comme « ouvrage d’un regard », c’est-à-dire travail de l’œil, et plus spécifiquement maintien d’une attention en dépit de la fatigue (« d’heure en heure affaibli ») à la fois due au temps de l’existence et à la situation propre du « poète tardif » qui ne saurait se prétendre visionnaire ou voyant à la façon de ses prédécesseurs (Hugo, Rimbaud…). Ce regard s’inscrit directement dans la temporalité : c’est un regard