Celine - voyage au bout de la nuit incipit
C’est Bardamu qui s’exprime à la première personne et aux temps du discours pour commencer sa narration : « Ça a débuté comme ça ». Les deux « ça » qui encadrent la phrase donnent d’emblée un niveau de langue familier, bien inhabituel pour la première phrase d’un roman. Très vite, le narrateur rapporte une conversation familière de café entre lui et son camarade Ganate. Tous deux, désoeuvrés et attablés à l’intérieur d’un café parisien, font « sonner [des] vérités utiles », selon le commentaire ironique de Bardamu, sur les Parisiens « qui se promènent du matin au soir » et qui « continuent à s’admirer et c’est tout ». Ils sont d’accord pour critiquer l’oisiveté et le conformisme des Parisiens alors que, eux-mêmes, sont « assis, ravis, à regarder les dames du café » → contradiction. Les deux amis vont ensuite être d’avis différents sur « la race française ». Cette expression est l’objet d’un débat idéologique depuis le XIXe siècle entre les tenants de l’universalisme de la nation française et les nationalistes qui ne reconnaissaient que la race blanche et les Français de souche : un désaccord sur l’identité nationale qui resurgit encore aujourd’hui. Bardamu se fait le champion de l’universalisme : « Elle en a bien besoin la race française, vu qu’elle n’existe pas ! […] c’est seulement ce grand ramassis de miteux dans mon genre […] venus des quatre coins du monde ».
Ganate, lui, affirme au contraire : « c’est la plus belle race du monde ». Quand on sait que Céline dans ses pamphlets, encore interdits de publication aujourd’hui, s’est laissé aller à un antisémitisme violent, il est surprenant et même contradictoire de faire de Bardamu, qui est son double, le porteparole de l’universalisme et de prêter à Ganate des idées racistes ! Cependant, le brouillage des opinions ne fait que commencer car entre désaccord entre les deux amis : « C’est pas vrai » et accord final : « On était du même avis sur presque tout », le