Chapitre 12 assommoir
Ce devait être le samedi après le terme, quelque chose comme le 12 ou le 13 janvier, Gervaise ne savait plus au juste. Elle perdait la boule, parce qu’il y avait des siècles qu’elle ne s’était rien mis de chaud dans le ventre. Ah ! quelle semaine infernale ! un ratissage complet, deux pains de quatre livres le mardi qui avaient duré jusqu’au jeudi, puis une croûte sèche retrouvée la veille, et pas une miette depuis trente-six heures, une vraie danse devant le buffet ! Ce qu’elle savait, par exemple, ce qu’elle sentait sur son dos, c’était le temps de chien, un froid noir, un ciel barbouillé comme le cul d’une poêle, crevant d’une neige qui s’entêtait à ne pas tomber. Quand on a l’hiver et la faim dans les tripes, on peut serrer sa ceinture, ça ne vous nourrit guère.
Peut-être, le soir, Coupeau rapporterait-il de l’argent. Il disait qu’il travaillait. Tout est possible, n’est-ce pas ? et Gervaise, attrapée pourtant bien des fois, avait fini par compter sur cet argent-là. Elle, après toutes sortes d’histoires, ne trouvait plus seulement un torchon à laver dans le quartier ; même une vieille dame dont elle faisait le ménage, venait de la flanquer dehors, en l’accusant de boire ses liqueurs. On ne voulait d’elle nulle part, elle était brûlée ; ce qui l’arrangeait dans le fond, car elle en était tombée à ce point d’abrutissement, où l’on préfère crever que de remuer ses dix doigts. Enfin, si Coupeau rapportait sa paie, on mangerait quelque chose de chaud. Et, en attendant, comme midi n’avait pas sonné, elle restait allongée sur la paillasse, parce qu’on a moins froid et moins faim, lorsqu’on est allongé.
Gervaise appelait ça la paillasse ; mais, à la vérité, ça n’était qu’un tas de paille dans un coin. Peu à peu, le dodo avait filé chez les revendeurs du quartier. D’abord, les jours de débine, elle avait décousu le matelas, où elle prenait des poignées de laine, qu’elle sortait dans son tablier et vendait dix sous la livre, rue Belhomme. Ensuite, le matelas