Crise
La Russie et l’Occident : des illusions au désenchantement par Vyacheslav Nikonov
la fin des années quatre-vingt et au début de la décennie suivante s’est produit l’un des événements les plus inattendus et les plus mystérieux de l’histoire de l’humanité. Une superpuissance – l’Union soviétique – s’est, de son plein gré, privée de ses alliés et a cédé toutes ses positions sans rien exiger en échange ; puis elle s’est effondrée en donnant naissance à quinze États indépendants. « Aucune grande puissance ne s’est jamais désintégrée aussi radicalement et aussi rapidement sans avoir été vaincue par les armes », s’étonnait Henry Kissinger1. Or cela s’est précisément passé à un moment où la situation internationale, ainsi qu’une bonne partie des élites et de l’opinion publique occidentales, étaient on ne peut plus favorables à l’URSS et à ses dirigeants, ainsi qu’à un règlement des difficultés internes et externes de ce pays.
à
1. Henry Kissinger, Diplomacy, New York, Touchstone, 1995, p. 763.
176 — Critique internationale n°12 - juillet 2001
La quasi-totalité des analystes américains, beaucoup d’Européens, mais aussi quelques Russes ont trouvé une explication simpliste à ce phénomène : l’Occident aurait « gagné la partie ». Par ses efforts méthodiques, il aurait poussé l’économie russe dans l’impasse en lui imposant une course aux armements trop lourde pour elle, et il serait sorti vainqueur de la guerre froide. La « guerre des étoiles » de Ronald Reagan aurait été le fétu de paille qui brise l’échine du chameau2. Il existe une autre explication, non moins simpliste, mais radicalement opposée. Tout ce qui est advenu résulterait de la mise en œuvre des idées personnelles de Mikhaïl Gorbatchev : celui-ci aurait, unilatéralement, mis fin à la guerre froide et liquidé l’empire soviétique. « Le facteur Gorbatchev a eu une portée plus décisive que le facteur Reagan... Rien ne permet de penser qu’Andropov ou Tchernenko se seraient comportés de la