Dans la forêt des paradoxes
Si j'examine les circonstances qui m'ont amené à écrire -je ne le fais pas par complaisance, mais par souci d'exactitude- je vois bien qu'au point de départ de tout cela, pour moi, il y a la guerre. La guerre, non pas comme un grand moment bouleversant où l'on vit des heures historiques, par exemple la campagne de France relatée des deux côtés du champ de bataille de Valmy, par Goethe du côté allemand et par mon ancêtre François du côté de l'armée révolutionnaire. Ce doit être exaltant, pathétique. Non, la guerre pour moi, c'est celle que vivaient les civils, et surtout les enfants très jeunes. Pas un instant elle ne m'a paru un moment historique. Nous avions faim, nous avions peur, nous avions froid, c'est tout. Je me souviens d'avoir vu passer sous ma fenêtre les troupes du maréchal Rommel remontant les Alpes à la recherche d'un passage vers le nord de l'Italie et l'Autriche. Cela ne m'a pas laissé un souvenir très marquant. En revanche, dans les années qui ont suivi la guerre, je me souviens d'avoir manqué de tout, et particulièrement de quoi écrire et de quoi lire. Faute de papier et de plume à encre, j'ai dessiné et j'ai écrit mes premiers mots sur l'envers des carnets de rationnement, en me servant d'un crayon de charpentier bleu et rouge. Il m'en est resté un certain goût pour les supports rêches et pour les crayons ordinaires. Faute de livres pour enfants, j'ai lu les dictionnaires de ma grand-mère. C'étaient de merveilleux portiques pour partir à la reconnaissance du monde, pour vagabonder et rêver devant les planches d'illustrations, les cartes, les listes de mots inconnus. Le premier