De la vie heureuse
« Tout le monde veut une vie heureuse[1] », ainsi commence le traité de La Vie Heureuse de Sénèque. Telle est en effet la finalité naturelle de l'homme, la fin à laquelle toute autre fin est subordonnée. « Le bonheur est toujours désirable en soi-même, il ne l'est jamais en vue d'une autre chose » dit Aristote[2] ou encore « Tout ce que nous choisissons nous le choisissons en fonction d'une autre chose, à l'exception du bonheur qui est une fin en soi[3]. » Le désir d'être heureux est universel, il est l'expression de notre nature. Accablés par les soucis, tourmentés par la peur de la maladie, de la mort ou autres infortunes, angoissés par l'incertitude de l'avenir, nous aspirons en effet tout naturellement à un état de sérénité de plénitude que tous nomment le bonheur : « Une prospérité constante, une vie satisfaite, un parfait contentement de son état » pour Kant[4] ; « une immense joie inébranlable et constante » qui apporte à l'âme « apaisement, accord, grandeur, alliée à la douceur » pour Sénèque, qui l'identifie au souverain bien. Le souverain bien c'est-à-dire à la fois le bien suprême, celui qui n'est subordonné à aucun autre, le bien en soi, et la perfection absolue, celui qui se suffit à lui-même, qui n'a besoin d'être complété par rien[5].
Mais la clarté de cette affirmation s'obscurcit vite lorsqu'on essaie de déterminer les moyens d'y parvenir. « Lorsqu'il s'agit de voir clairement ce qui la rend telle, c'est le plein brouillard » (1, p. 722). Les philosophes rejoignent le sens commun quand il s'agit de constater l'indécision quant à la voie qui conduirait sûrement au bonheur : est-ce l'amour, la santé, le pouvoir, la fortune ? Chacun énonce sa propre vision du bonheur à partir de ses aspirations propres et aucun accord n'est possible dès lors que cet état auquel on voudrait donner une valeur universelle est défini à partir de la situation singulière de chacun. « Le problème qui consiste à