Des racines et des ailes
Résumé: le rôle propre d'un intellectuel est de mettre au service de la société les « ailes » qu'il a le privilège d'avoir pu acquérir, mais il ne peut convenablement le faire qu' à condition d'être conscient qu'il n'y a pas que lui et les siens à être ailés; de ne pas surestimer les capacités de ses ailes particulières; de ne perdre de vue ni ses racines, ni celles d'autrui..
Je propose de partir d'un proverbe yiddish qui dit qu'on ne peut donner que deux choses à ses enfants, des racines et des ailes, plus précisément de cette double métaphore pour apporter des éléments d'éclairage sur la question des intellectuels. Cela ne me paraît pas inutile, en particulier sur le site Médiapart où il me semble relever assez souvent une attitude ambivalente à l'égard des intellectuels, une connotation tantôt positive, tantôt négative de termes comme « intellectuel (ou son diminutif: intello) », scientifique », ou encore de qualifications disciplinaires comme... « sociologue ».
Les « ailes » sont bien sûr ce qui permet d'aller voir au-delà de l'horizon commun, de ne pas être chevillé aux préjugés de sa tribu, de se représenter le monde où l'on est né non comme « Le » monde mais comme un monde possible, parfois même (au prix le plus souvent d'une initiation spécifique) de le comparer non seulement aux mondes d'à côté mais aussi aux mondes reconstitués d'hier et même à des mondes imaginés, des mondes qui n'ont encore jamais existé mais sont plausibles, des mondes construits en idée comme des avenirs possibles. Les ailes sont ce qui peut permettre de se représenter de façon inédite les amours homosexuelles comme aussi humaines et aussi naturelles que celles prescrites par la tradition. Ce qui permet à un moment d'échanger non plus un objet contre un objet mais un objet contre un symbole monétaire ou un objet contre une valeur future. Ce qui permet de voir des demoiselles d'Avignon ou d'ailleurs avec des combinaisons inouïes