Description dans un récit de "l'île des morts" de arnold böcklin
Je me trouvais sur une frêle barque, debout, droit et immobile dans mon blanc drap-linceul. À mes pieds, un rameur m'amenait vers une île. Je supposais que c'était Charon, le nocher inflexible des enfers, car il me semblait que je venais de mourir, même si je ne l'avais pas vraiment senti, et que à côté de lui, il y avait un coffre-cercueil. C'était la tombée de la nuit et l'île semblait menacée par l'orage. Je la regardais fixement et savais que ce serait mon tombeau car à la proue de la barque, le coffre-cercueil ne me montrait que trop bien cette évidence. Ce voyage conduit par Charon était donc mon dernier voyage. Nous n'avions pas encore touché terre, mais je savais que je m'éloignais irréversiblement du monde des vivants. Frappé d'un dernier rayon de lumière, je me trouvais dans un entre-deux : entre deux rives, entre île et continent, entre jour et nuit définitive. Les eaux noires étaient celles d'une frontière. C'était un plan d'eau immobile, eau ténébreuse et morte. Cette île était semblable à la Bouche des Enfers, port du royaume des défunts. Des falaises monumentales matérialisaient le processus et le pouvoir de pétrification de la mort, mais surtout la terreur d'être enfermé, emmuré. La cour était dans l'ombre, entourée de ces rochers escarpés mais aussi d'un haut bouquet d'arbres, des cyprès, qui formait une lourde masse noire, un abîme au centre de l'île. Des blocs de parallélépipèdes étaient encastrés dans la masse brute des falaises, et leur géométrie ainsi que leur blancheur sépulcrale amplifiaient et répercutaient l'image de tombeau. Des ouvertures creusées dans les rochers ménageaient des entrées, parfois murées, qui évoquaient les niches élevées d'un obituaire et suggéraient des choses obscures et terribles. C'était un paysage mystérieux et sombre, avec de hauts rochers et des cyprès funèbres, qui dégageait une atmosphère lourde de solitude, une île de l'au-delà où Charon, nocher des enfers,