« La lyre fuit volontiers tous les détails dont le roman se régale. L’âme lyrique fait des enjambées vastes comme des synthèses, l’esprit du romancier se délecte dans l’analyse. »

Baudelaire, Réflexion sur quelques uns de mes contemporains (1862)

Roman et poésie sont deux genres littéraires que chacun peut à priori distinguer au premier regard : le poème apparaît souvent comme court et organisé, et le roman, plus long et à la forme moins travaillée. Mais une fois cette différence aspectuelle constatée, il faut aussi rendre compte des caractéristiques propres à chacun de ces genres, car l’aspect n’est parfois pas suffisant. Une première réponse pourrait être trouvée dans l’ouvrage de Baudelaire intitulé Réflexion sur quelques uns de mes contemporains, écrit en 1862. Au delà de la forme, poème et roman diffèrent par l’utilisation qu’ils font du réel : la poésie, que Baudelaire désigne ici par la lyre, instrument dont s’accompagnaient les poètes grecs, accorde moins d’importance que le roman aux « détails » dont ce dernier « se régale ». Le poète développe cette constatation, en expliquant que la poésie survole ces détails par « des enjambées vastes comme des synthèses », alors que « l’esprit du romancier se délecte dans l’analyse ». Une synthèse consiste en une opération intellectuelle, qui a pour but de réunir en un tout cohérent et structuré des éléments d’origines diverses. La poésie apparaît alors comme un genre littéraire qui cherche à réduire l’expérience que le poète a de la vie à l’essentiel. L’analyse au contraire, qui caractérise le roman selon Baudelaire, part d’un ensemble et le décompose pour rendre accessible chacun de ses éléments. Ainsi, poésie et roman semblent se distinguer par l’approche différente que les deux genres ont du réel : le roman s’attarde sur les détails, cherche à les expliquer tandis que la poésie souhaite en transmettre un condensé. Ces différences existent car poésie et roman ne cherchent pas à communiquer la même chose, et