Dissertation
Je comprends alors la passion, la folie, la duperie des récits de voyage. Ils apportent l’illusion de ce qui n’existe plus et qui devrait être encore, pour que nous échappions à l’accablante évidence que 20 000 ans d’histoire sont joués. (…)
On risquait jadis sa vie dans les Indes ou aux Amériques pour rapporter des biens qui nous paraissent aujourd’hui dérisoires : bois de braise (d’où Brésil) : teinture rouge, ou poivre dont, au temps d’Henry IV, on avait à ce point la folie que la Cour en mettait dans des bonbonnières des grains à croquer. Ces secousses visuelles ou olfactives, cette joyeuse chaleur pour les yeux, cette brûlure exquise pour la langue ajoutaient un nouveau registre au clavier sensoriel d’une civilisation qui ne s’était pas doutée de sa fadeur. Dirons-nous alors que, par un double renversement, nos modernes Marco-Polo rapportent de ces mêmes terres, cette fois sous forme de photographies, de livres et de récits, les épices morales