Dissertation
Condensé extrait du livre du même nom, parties rédigées par Alain Supiot, PUF septembre 2000.
Introduction.
Existe-t-il une spécificité du travail de service public, et si oui laquelle ? L’Etat dicte sa loi plus volontiers qu’il ne contracte. Il n’a donc guère été enclin à négocier avec ses serviteurs et leur a octroyé unilatéralement des statuts fixant leurs droits et leurs devoirs. A l’opposé, le travail effectué dans le cadre d’un contrat de travail est présumé servir des intérêts particuliers et relève donc du droit privé.
On retrouve ici l’opposition binaire entre le privé et le public qui est l’un des traits les plus profondément ancrés dans la culture juridique française. Bien sûr, cette opposition est démentie par la vie du droit. Le droit français a été de fait un remarquable laboratoire de cette hybridation, ainsi qu’en témoignent par exemple notre système de caisses de sécurité sociale (organismes privés chargés de la gestion d’un service public) ou l’organisation de notre secteur public (avec ses services publics industriels et commerciaux), qui n’ont pas de véritables équivalents à l’étranger. Mais l’opposition du privé et du public conserve dans l’esprit du « grand public » (c’est-à-dire des personnes privées !) comme dans celui des gouvernants et même des juristes une force apparemment irrésistible.
Lieu de stéréotypes socialement efficaces, la culture juridique dominante continue de dresser un mur entre le privé et le public.
Et nulle part ce mur ne semble plus haut que dans le domaine du travail, où il sépare le monde du salariat et celui de la fonction publique. Mais en fait de mur, il s’agit plutôt d’une voie de communication très fréquentée. Une analyse économique découvrirait par exemple les cohortes de travailleurs du secteur privé (les agriculteurs2, les médecins libéraux, etc.) dont les revenus proviennent largement, comme ceux des fonctionnaires, de la redistribution de