Dissertation
Dans son immense création littéraire rassemblée finalement sous le nom de La Comédie humaine, Balzac s'est donné pour projet de dresser « l'inventaire de la société française » de la première moitié du XIXe siècle et de se faire le « secrétaire » de cette histoire. Le réalisme ainsi défini se veut donc une imitation au plus près du réel. Cependant, la tâche du romancier, quand il crée des personnages, ne consiste-t-elle qu'à imiter le réel ? La liberté propre au roman, genre protéiforme et en perpétuelle évolution s'il en est, peut-elle supporter de se cantonner à cette imitation? Le geste créateur du romancier se réduit-il à une simple reproduction, quasiment photographique, du réel ? Nous observerons tout d'abord comment le romancier s'inspire effectivement de la réalité qui l'entoure. Nous montrerons ensuite que le roman offre tout de même une déformation du réel et que ses personnages s'éloignent souvent de nous. Enfin, nous verrons que le roman propose surtout une véritable recréation esthétique du monde.
I. Une imitation du réel
1. Une reproduction du monde
Les personnages de romans ont souvent pour origine des êtres de chair bien réels, les romanciers puisant leur inspiration dans le monde qui les entoure et prétendant nous parler de lui. Les romans historiques, par exemple, s'attachent à retracer des événements marquants ou des périodes décisives dans l'histoire d'une communauté ; ainsi Quatre-vingt treize de Victor Hugo tente d'expliquer l'évolution de la Révolution française et en particulier l'épisode sanglant de la Terreur. De même, bon nombre de romans s'inspirent de faits divers pour bâtir leur intrigue ; Madame Bovary a ainsi pour point de départ une anecdote authentique connue de Flaubert : le suicide d'une femme adultère. Certains s'appuient sur la vie même de leur auteur : la somme romanesque de Proust, À la recherche du temps perdu, sans être strictement une autobiographie, emprunte pour une large part à l'histoire