Donner sans compter
Dominique Segalen

Comment parvenir à ce stade d'innocence, laissé depuis longtemps et remplacé par un processus complexe qui engloberait dans chaque sentiment l'intégralité du vécu ?

Chez les adultes, tout comportement n'est pas faussé. Tout de même, mais être attentif demande au contraire un véritable travail intérieur. Contradiction évidente que cette recherche d'un retour à l'innocence. L'innocence n'est pas le résultat d'une conquête mais nous est donnée au début de cheminement et se perd ensuite... ou pas. Ceux qui ne la perdent jamais sont souvent classés par le commun des mortels dans la rubrique des doux rêveurs, des artistes, des créateurs, des simples d'esprits (ces deux derniers sont-ils finalement si différents ?).

Les enfants donnent sans compter, sans attendre un retour, sans garder en mémoire combien ils ont déjà donné et à qui, combien de fois en tout, ou si les bénéficiaires ont mérité ce qu'ils ont reçu ni la manière dont ils ont reçu.

Accepter le cadeau d'un enfant est un art véritable. Rien ne peut d'avantage les choquer que la légèreté avec laquelle un papier colorié, une boîte cabossée, un caillou biscornu, un bouquet flétri, un cendrier de plâtre fait à l'école, une bille au reflet spécial, un jouet cassé, une balle usée... bref, que la légèreté avec laquelle nous pouvons accepter en tapotant la tête ou remercier d'un sourire condescendant (on les prend pour qui, là ?) et poser le truc dans un coin, en sursis d'abandon, attendant que quelques jours passent avant de le jeter. Merci, mon chéri, oh que c'est gentil. Oh, mais qu'est-ce que c'est ? Un bouchon planté d'allumettes ? Et qu'as-tu collé sur le dessus ? Un joli papier d'argent ?

Ne pas comprendre, alors qu'on le tient bien en vue sous la lumière, qu'il s'agit d'une représentation du guerrier des Territoires Sacrés venant de prêter serment d'allégeance à la Princesse des Mers, alors qu'il lui en coûtera certainement ses terres et sa vie, alors qu'hier