Dupin
LE CORPS ET LE CORPUS CHEZ BERNARD NOEL ET JACQUES DUPIN Michael Brophy
(Dalhousie University)
Rever le corps dans le texte malgre les cassures et les failles evidentes de la langue, rejoindre la substance de ce que nous sommes par le biais des mots: voila un but que s'est propose la poesie moderne tout en reconnaissant la difficulte sinon l'impossibilite de cette tache. La poesie de nos jours cherche a contester et a renverser l'arbitraire du signe, concept saussurien qui refute tout rapport de motivation entre le signifie et le signifiant, et qui demontre d'ailleurs que les signes s'organisent a part, sans se referer ni a leur substance phonique ni aux idees qu'ils representent. 1 Le poete desire donc remettre en cause le systeme de la langue dont les relations, selon la description de Saussure, relevent uniquement de la convention et non d'une homologie secrete, si ardemment recherchee pourtant, entre mot et monde, signe et substance. Chaque acte d'ecrire devient cette tentative acharnee de capter dans les mots une force osmotique, de sonder le mystere de «l'inextinguible reel incree» qui, selon Rene Char, affleure joyeusement dans le poeme des que l'imagination s'allie aux «puissances magiques et subversives du desir.»2 A l'encontre de la linguistique et des ecarts qu'elle constate, le poNe s'evertue, parfois desesperement, a faire couler dans le reseau verbal la seve du reel, a dechalner les resonances affectives des mots indissociables des pulsions les plus intimes de l'etre. Cette activite implique d'une part une interrogation incessante de la tromperie et de la traltrise des mots dont les relations mutuelles, de nature purement intralinguistique, priment et occultent notre saisie du reel; et d'autre part, l'elaboration d'une ecriture en continuel desaccord avec elle-meme qui, non fixe et non close, vise un depassement de soi sans cesse renouvele, c'est-a-dire, l'effacement d'un mode de figuration trop fige pour concorder avec