Document 2
ESSAI
YVES DERAI et LAURENT GUEZ, Le Pouvoir des Guignols (1998), « conclusion », DR.
Journalistes l'un et l'autre, Yves Derai et Laurent Guez ont fait une étude à la fois historique et sociologique du phénomène des « Guignols de l'info », ces marionnettes qui prennent l'apparence de certains hommes politiques ou de personnages connus des médias. La conclusion de leur ouvrage insiste sur le pouvoir décapant du rire.
Un roi sans bouffon est un roi sourd et aveugle. Car l'air de rien, le pitre monarchique porte haut la parole du peuple pendant que l'entourage frétille et courtise. À sa manière, le bouffon à propos duquel Courteline1 disait « qu'il n'est pas de genres inférieurs », est le seul véritable conseiller des princes. Il ricane, fustige, dérange, puis se réfugie derrière son bouclier protecteur, l'ironie. Dans notre régime présidentiel centrali¬sateur qui installe le chef de l'État sur un trône constitutionnel, les Guignols de l'info ont pris une place de choix. Par le rire et la moquerie, ils font passer en douceur des messages qui irriguent les artères de notre démocratie et aiguillonnent nos dirigeants. Ils se sont, en quelque sorte, approprié le pouvoir du bouffon.
Ce pouvoir, ils l'ont gagné de haute lutte. À ses débuts, l'émission de Canal Plus n'était qu'une farce plus ou moins réussie, à peine séduisante pour un petit milieu parisien. Mais après une paire d'années d'existence, à force de travail et de persévérance, elle a acquis ses lettres de noblesse, se forgeant une réputation de programme avant-gardiste de qualité. Son audience n'effrayait certes pas une concurrence assoupie sur son quant-à-soi, mais Canal Plus était déjà comblée par les réper¬cussions positives des Guignols sur son image atypique et à la mode. Bref, tout le monde était content.
Puis vint le temps des commentaires pertinents, des éditos tranchants comme des lames de rasoir, de la prescience. Le temps de la reconnaissance et de l'institutionnalisation. Les